Quoique mon cher, unique père  aimait plus et de loin notre résidence campagnarde. J'y veillerai que son amour fut récompensé.  Moi, le cœur  arraché  je quitte  cet endroit en espérant y revenir au plus vite. Pas sûr que mon équipe pense de même.  Je sens que je fonds  petit à petit,  cela ne m'a fait  ni chaud  ni froid.  Tiendrias-je le coup le temps  nécessaire ?
Peu y arrivent à  bon port, enfin c’est une image poétique et optimiste qui nous  pousse en avant. Encore une illusion....

Lucky me, autrement j’aurai dû digérer tout  cette  maculature ordurière qu’on nous assène quotidiennement.  Gueule ouverte . Autrefois on mettait  la muselière aux pauvres qui osaient l’ouvrir,  aujourd'hui c’est l’entonnoir.  On y déverse  pèle mèle meurtres, vols, guerres tout  bien ficelé  dans un lot de mensonges,  faux semblants, vieux clichés et folles  croyances.  Et que je te décortique le pourquoi  et le comment à l’infini, histoire  qu’on regarde ailleurs.  Avalez jusqu'à l’indigestion si vous voulez,  moi je ferme mon bec, je tourne le bouton,  mieux  j’arrache la prise et je respire l’air marin en oubliant pour de bon les lendemains qui chantent. 

Je me sens.... plus que honteuse.... Je n’arrête pas de geindre sur mes émotions quand l’horreur,  l’indicible s’étale sans pudeur sur tous  les médias.  Je ne sais à quoi réagir en premier : à la fin d’une vie qui bourgeonnait à  peine,  à l’horreur des supplices, à l’effondrement des parents,  à l’indécence de la récupération politique....et à quoi encore ?! Mon cerveau  bloque sur les faits,  une fille  à peine  plus âgée s’acharne à dépecer une autre....j’arrête les descriptions,  ne pas tomber dans le sordide, tant de gens friands de morbide s’enfoncent avec délices dans la bassesse des ténèbres de l’âme humaine. D’ailleurs peut-t-on parler d’âme ? Un gouffre....et pourtant l’assassine  - un être humain, une fille qui pourrait devenir mère,  épouse, amante. Je bloque  vous dis-je. 

Et c'est tout  ? Je contemple hébétée  une urne d’un bleu triste qui contient les cendres  de mes deux  parents..Ensemble comme dans leur vie qu’ils ont su rendre merveilleuse..... On regarde ce tas grisâtre,  on se dit qu’ils font pour de vrai  un et indivisible couple de...poussière.  Où sont les éclats de rire de maman qui ravissait mon père, son charme qui effaçait  les aspérités de nos angoisses ? Dans quel nuage céleste mon père fait résonner son violoncelle pour le plaisir des anges ?  Je suis persuadée qu’ils sont loin et heureux,  ou tout près  mais  dans un univers parallèle et le lien de vie qui nous unissait est rompu  à jamais. Je sens, je sais que je vais être en errance un bout de temps cherchant désespérément le moyen de les rejoindre.  Sait-on jamais ? Y arriverais-je ?
L’urne est immobile,  la poussière muette.  Moi je me berce de l’illusion que j’ai agi selon leur volonté. Et pour mon pardon si je fus en agissant ainsi à côté  de la plaque,  je demande le même sort : finir en poussière le plus vite et le plus discret possible. L’orgueil jusqu'à la fin ? De tout  mon être  meurtri et pour le respect que je leur  dois à eux qui  furent un modèle de  distinction discrète , je compte y arriver.  Malheureusement cela dépendra des autres qui vont gérer ma dépouille et là .... je ne vais plus rien  contrôler.  Est-ce que cela va compter quelque part ? J’arrête de rêver... Trop de fois j’ai vu les désirs des gens bafoués par les successeurs. Au fond est-ce que cela compte  si le sentiment  ne suit pas  ? Pour qui , pour quoi ? Tu seras poussière, pour toi le mot fin est en préparation. 

J’en ai bigrement l’impression  ! Remarquez je suis née pendant une guerre,  il y a des chances que je disparaisse pendant une autre ! Plus les journées passent plus j’ai la certitude de régresser.  Pénurie  de carburant,  restrictions de chauffage,  hausse  spectaculaire de l’alimentaire et de tout d’ailleurs (mais baisse  de ma maigre retraite) ça vous rappelle quelques jours noirs,  non ? Enfin, à certains. Les jeunes  les malheureux qui ont connu  l’abondance vont tomber  de bien  haut. On croyait les Conducteurs avec des cases manquantes disparus sous la trappe de l’Histoire.  Que nenni,  ils sont pléthore !Ce qui est triste,  compréhensible ? c'est que  les peuples ont aussi  perdu le cap. Ça va dans toutes les directions sans arriver nulle part.  Bof.... La terre tournera quand même,  changera-t-elle de sens ? Sotte, l’Univers sera toujours mystérieux !